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LES JEUX DU HASARD D'ALAIN JANSSENS

« Photographier de l'architecture a quelque chose de frustrant puisqu'on est toujours obligé de montrer une partie et de suggérer le reste. Suggérer une architecture, c'est révéler ses structures, ses   matières, ses mises en espaces, son rapport à la lumière, ses pro fondeurs, bref   tout ce qu'on ne peut pas montrer mais que l'on peut faire sentir intuitivement», explique Alain Janssens. Notamment en s'appuyant sur la mémoire collective : l'intérieur d'une maison baigné d'une légère lumière verte renvoie inconsciemment à la pelouse qui se trouve de l'autre côté de la vitre. Or, pour bien suggérer, insiste le photographe liégeois, il faut mettre son esprit en disponibilité, se lais­ser porter au gré des multiples stimulations extérieures, ces dérives qui permettront d'enrichir la photo. Laisser une place au hasard, le convier à la table du cliché. « Être disponible au cadeau, à cet imprévu qui vient ajouter du sens à l'image. La photographie est tellement dépendante du hasard alors que l'architecture ne l'est pas du tout ». Cette opposition entre les deux formes artistiques, il s'agit de l'ex­ploiter afin de faire vivre l'architecture photographiée, dont l'aspect formel prédominant peut, si l'on n'y prend garde, figer le contenu, glacer la substance. « II ne faut pas se leurrer, ce qu'on demande le plus souvent dans le domaine, c'est que les espaces photographiés soient vierges, vides, bien en ordre, avec de belles lumières. Or, ce qui m'intéresse, c'est d'inscrire le plus possible de l'imprévu, donc de la vie. Mon travail consiste à faire vivre ces espaces en amenant de l'inattendu dans une réalité. Et lorsque l'on a de l'imprévu, l'ima­ginaire se met forcément en action. Et dès ce moment-là, quelle que soit la manière de suggérer le hors champ, l'esprit peut plus facile­ment comprendre les liens entre les différents volumes, reconstituer le bâtiment dans son ensemble, s'inventer des trajectoires... »

Une subjectivité propre

D'ailleurs la compréhension intuitive ne fonctionne que si elle se fonde sur des éléments tangibles, visibles de la construction, de son contexte. Le cliché de l'immeuble métallique de la place Liedts à Schaerbeek éclaire cette démarche. « On ne peut pas extraire l'objet architectural clé son contexte. Ce serait un mensonge. Les personnages jouent le rôle de raccord au hors champ. C'est un quartier coloré, il faut le montrer. L'architecture s'inscrit dans un contexte global qui doit être rendu. Ce n'est pas que du formel » sou­ligne Alain Janssens, qui assure actuellement le suivi du chantier de la nouvelle gare Liège-Guillemins pour le compte d'Euro-Liège TGV. Pour lui, ce type de photographie appliquée, où l'objectivité semble de mise, est paradoxalement demandeuse d'un point de vue subjectif. Hasard et subjectivité concourent au même but : une meilleure compréhension de l'acte architectural. Une traduction-transcription inter­prétative du geste de l'architecte. «Si je travaille avec eux c'est parce que j'ai un point de vue particulier, une subjectivité propre, qui ren­contre la leur. Et lorsque l'on parvient à révéler l'architecture à l'architecte, voire à lui montrer un aspect auquel il n'avait pas pensé, c'est gagné. Ce qui ne veut pas dire qu'il faille à tout prix comprendre ce que l'on a devant les yeux. Le tout est de trouver la meilleure manière pour que les volumes que l'on a en face de soi s'inscrivent le mieux en sur­face, sur la surface de l'image, et dans un cadre ». La démarche du photographe liégeois trouve un prolongement tout indiqué dans ses expositions, où la mise en place des photographies interagit avec l'es­pace d'exposition, la disposition des photos dans l'espace permettant également de faire vivre une architecture de l'intérieur, en intimité

Vincent Braun

La libre essentiel 29/11/03

Logements sociaux
Schaerbeek. Bruxelles
architecte: Mario Garzaniti

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