Alain Janssens : instants méditatifs
A lopposé du sensationnalisme publicitaire ou médiatique, comme de linstant quelconque propre à la photographie des années nonante, Alain Janssens (Liège, 1956) livre une photographie contemplative qui exige attention et écoute. Lexpression prendre le temps pourrait caractériser sa démarche, car elle impose une durée à chaque étape du processus photographique. Le temps des promenades et baguenauderies, qui permet à lartiste de simmerger dans ses univers, naturel ou urbain ; celui du choix des épreuves, parmi les clichés et de leur associations éventuelles ; et enfin celui de leur contemplation, qui est aussi celui de la révélation, synonyme démerveillement.
Dans la série quil présente à la Grange du Faing, Alain Janssens a associé des images des différents lieux et de différentes périodes de son travail ; un ensemble qui brosse son évolution, de ses premiers travaux en milieu naturel, jusquà ses recherches en milieu urbain. De ses promenades dans les bois et campagnes, il a ramené des clichés qui cristallisent ses émotions sur des fragments, sur des bribes afin dépurer le propos pour laffiner. Refusant lanecdote comme le contexte qui situerait le moment dans un espace-temps trop précis, il privilégie un processus dabstraction qui fait rejaillir la quintessence de linstant. Raison pour laquelle il saccommode parfaitement du noir et blanc qui valorise la structure au détriment des détails.
Procédant par synecdoque (la partie pour le tout), il isole le fragment qui prend une valeur générale, sans nom précis, ni singularité propre, mais sans perdre lintimité au profit de limpersonnalité. Une flaque, un reflet, une branche etc. deviennent des instants démotions intenses qui laissent à limagination le soin de compléter lensemble, de profiter des zones de libertés laissées par limage. Chaque instant repéré est saisi en quelques clichés ; jamais plus, car une fois la sensibilité affectée, le geste du photographe se produit spontanément. Et lorsque lensemble simpose, comme dans certains paysages, Alain Janssens éprouve le besoin de les perturber, de les brouiller, comme sil sagissait den refuser lévidence fallacieuse, den dénoncer leur immédiate mensongère, pour y introduire le doute. Je refuse les certitudes, explique-t-il. Je leur préfère la fragilité du doute, linquiétude instable du mystère.
Afin déviter léparpillement des uvres, que pourrait produire leur diversité thématique, Alain Janssens propose des rapprochements basés sur les connotations quelles suggèrent. Une, deux ou trois photos, parfois plus, composent des polyptyques qui sont les bases de rapprochements narratifs. Non des histoires linéaires, qui seraient structurées sur un commencement et une fin, mais un milieu qui se répand par bifurcations et changements ; un peu à la manière de la pensée qui évolue au gré des stimuli proposés. Pas dhistoires donc, mais des associations surprenantes qui épaississent les sens possibles de chacune des images.
Prises individuellement ou en séries, ses uvres suscitent lémerveillement sans le vouloir, comme retenue par une forme de pudeur. Une dialectique contradictoire les anime en permanence : immobilité dans le mouvement, énergie dans la nervosité, condensation de la force,
Tentatives de compréhension intime de lunivers, ses photographies sarrêtent sur la beauté éphémère dun moment fragile, sur le mystère dun éclat lumineux, sur la sensualité dun texture surprise. Autant dinstants captifs qui, loin de sépuiser, se régénèrent par leurs puissantes qualités suggestives.
Du 29 juin au 27 juillet 2002 à la grange du Faing. P.O. Rollin