Thier à Liège

A la fenêtre, là-haut, au bas du ciel, le terril.

Mettre ses chaussures. Sortir de la maison.  

Passer le pont du chemin de fer. S'engager dans les pavés bruyants.

A droite, commencer la puissante montée de la rue du Thier-à-Liège. Ombre profonde et silencieuse. Ici commence un autre territoire. Celui de l'étrangeté, de l'anarchie urbanistique, des contrastes de la ville, de la brique et du bucolique, salutaire bouffée d'air.

Monter la route étroite et sinueuse, enveloppée de maisons de guingois se soutenant sur leur pente abrupte. Prendre le travers des sentiers et ruelles labourant la colline proposée au soleil. Frôler les cabanons d'argent perdus au milieu des cardons, tomates et autres légumes magnifiques. Longer des vergers de vieux poiriers, chargés des odeurs de boucs, de chèvres et de moutons. Croiser un chat somnolant puis un chien à l'oreille haletante.

Surgir sur le boulevard Hector Denis, sur ses autos, ses poubelles et ses parcelles promises depuis quelques années à la construction de maisons nouvelles.

Traverser au plus vite, non sans profiter à chaque fois du panorama sur la ville et par beau temps sur les Fagnes et l'Allemagne.

Pousser jusqu'au terril, très proche maintenant entre les nuages, et par le sentier de la Bure du Rossignol se mesurer à l'étendue, déjà entrevue mais là vécue, modeste certes, mais ouverte comme sur un ciel irlandais.

S'engouffrer sous la voûte du chemin longeant la minuscule montagne, en respirant des brassées d'acacias, de plantes et graminées, pénétré par les échos lointains de la ville (et de la mine...), les chants perçant des oiseaux tous proches. Se mesurer au sommet, et dans la moiteur du corps, faire face au vent, profiter du goût de la cerise, essuyer du plat de la main les embruns bienvenus, puis descendre.

Se laisser aller jusqu'à la mare aux joncs, due à la négligence heureuse d'un entrepreneur distrait. Ecouter les rondeurs et les accents de la haie affûtée, drue et ajourée. S'amuser des cris d'enfants jouant dans le bois réputé inaccessible, suivre la piste de leurs pas dans l'herbe foulée, aplatir les mûriers et sentir la terre humide.

Fermer les yeux.

Traverser quelques rues bordées de maisons de briques rouges, et longer le golf, moduler sur les restes des corons et des chemins de mineurs,   pavés luisant de la mémoire anthracite du charbon. Hésiter à se faufiler dans la ruelle Paradis, escalier bordé de murs de ronces et de noisetiers, balisée par un poteau d'éclairage public en béton ajouré, à gros grains usés.

Mais tenir bon jusqu'au deux terrils.

S'aventurer entre les deux bosses, dans le mystère des bouleaux, pendant trois à quatre cents mètres: là, le paysage se redresse, s'anime, le regard domine Herstal et plonge sur l'Ile Monsin, le port, les bus, le chemin de fer, l'autoroute, la FN, les Hauts-Sarts, Chertal et au loin, la montagne Noire et Maastricht.

Contourner le crassier par un chemin « de mulet » et se retrouver instantanément en suspension, le bruit rendu au lointain.

Redescendre par la rue des Petites Roches. Saluer Damien.

Rentrer à la maison. Enlever ses chaussures.


Alain Janssens, le 12 juillet 2004

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