Jean-Marie Wynants « C’est dans le quotidien qu’on fait le plein » Le Soir - 13 mars 2009Alain Janssens est un photographe rare, qui sait prendre son temps et ne dévoile son oeuvre que lorsque celle-ci a atteint sa pleine maturité. Pour La part et le plein, la très belle exposition qu’il présente actuellement au Triangle bleu à Stavelot, il a rassemblé les travaux de ces quatre dernières années, répartis en quatre séries. Trois en noir et blanc et une en couleur. Celle-ci est un peu le parent pauvre de l’exposition. Au moment de l’accrochage, le photographe a finalement décidé de la réduire à la portion congrue : trois ou quatre images grand format où la couleur ne se met jamais en avant. On peut à la fois regretter et comprendre ce choix tant le travail en noir et blanc reste chez lui superbe, générateur de mystère, de poésie, de rêverie. Au rez-de-chaussée, on découvre une série jouant clairement avec notre regard. Il y a là des maisons, des forêts, des prairies, des branchages. Mais là où l’on essaie généralement de dégager un élément pour le mettre en valeur, Alain Janssens s’amuse au contraire à multiplier les plans, brouillant chaque élément par la présence des autres. Et nous les révélant du même coup sous un jour nouveau. « Notre perception du concret est partielle et partiale, tout est mouvement, en perpétuel carambolage » , écrit-il dans le très beau texte accompagnant l’exposition. Il le prouve dans la salle suivante où, plutôt que de superposer les choses, il s’en approche si près qu’elles deviennent difficilement identifiables ou acquièrent une présence inattendue comme cette chaussure de femme qu’on dirait presque animée de vie. Il faut tantôt s’approcher, tantôt prendre un peu de distance pour identifier chaque élément : des feuilles de papier, une grenouille, une main posée sur la peau, des allumettes, un champignon, une chaise... Petites choses banales issues du quotidien : « C’est dans le quotidien qu’on fait le plein » écrit-il, ajoutant que « la part du monde qui surgit devant nous n’a pas nécessairement de sens » . Ici donc, rien à comprendre, à analyser. Alain Janssens regarde et montre, ressent et fait ressentir. Chacune de ses images nous raconte mille histoires mais aucune n’est imposée par l’artiste. A nous de nous faire notre petit cinéma avec les images qu’il glisse sous nos yeux. A l’étage, on découvre la série « Les blanches » et c’est un nouvel éblouissement. Comme le nom l’indique, il s’agit ici d’images où le blanc domine. Il n’est pourtant pas le sujet de l’image même mais plutôt ce qui l’entoure, le contient, le met en valeur, le fait exister à notre regard. Ce blanc lui-même ne peut nous attirer que parce qu’y surnagent une feuille recroquevillée, un brin d’herbe, une brindille. « Une image ne remplit pleinement son existence que quand elle oppose une perspective dans le regard de celui qui est devant elle » , écrit le photographe. Il le démontre brillamment à travers cette exposition pleine de mystère, de poésie, de simplicité, de sensualité, oscillant sans cesse entre l’infime et l’immense, le tout et le rien, la part et le plein. Jusqu’au 19 avril au Triangle bleu, |