Le photographe liégeois condense dix ans de création dans un livre et deux expos.
Son leitmotiv : « se laisser porter, lâcher prise, pour être en prise avec le réel ».
Si on sait ce que l’on cherche, on va le trouver, mais on n’est plus disponible. Quand je sors avec mon appareil, je crois que je me laisse faire, je me laisse attraper par quelque chose. Et la plupart du temps c’est la lumière qui me guide. » Alain Janssens croit à la spontanéité, à la surprise, aux cadeaux que lui fait aussi la nature quand elle se modifie brusquement au moment où il la fixe sur la pellicule, aux émotions contrastées que traduit la lumière. Une « attitude d’ouverture aux possibles, aux bifurcations, aux chemins de traverse » qu’il rapproche volontiers de son arrivée fortuite - par le biais d’un ami - à la photographie, après un parcours plutôt technique (dont deux années de physique à l’université) et éloigné du monde de l’art.
« Regarder sans comprendre/ Accéder au lieu par l’image/ Non par son langage/Mais par son secret/Ne pas rompre les liens », écrit-il en 1991. Cette « réflexion de travail » et bien d’autres sont retranscrites dans le très beau livre « Temps brassé » que publie aujourd’hui l’artiste liégeois, 49 ans, professeur à l’Institut supérieur Saint-Luc. L’ouvrage réunit 57 photos des dix dernières années, tirées de ses travaux sur le corps, les objets de la vie quotidienne et surtout la nature. Une cinquantaine de clichés sont actuellement exposés au centre d’art contemporain les Brasseurs, à Liège, et d’autres au Centre culturel de Marchin.
À chacun son histoire
Alain Janssens consacre un soin particulier à l’accrochage de ses oeuvres, au rythme, aux silences, aux ruptures qu’elles suscitent. Il s’amuse, au gré des expositions, à rapprocher des photographies de différentes époques et de différents thèmes - et à en isoler d’autres qui se chargent d’une force d’autant plus grande.
Aux Brasseurs notamment, ces associations mettent le visiteur en position d’acteur, de créateur même. On se surprend à inventer une histoire sur base de ces suites de quatre ou cinq clichés (la montre, l’escalier, la cuiller, la femme penchée et la vue sur l’arrière-cour, par exemple), enchaînements ouverts à d’innombrables interprétations, d’autant qu’aucune légende n’accompagne les photos. Plus loin, c’est la forme qui suscite la rencontre : le zigzag d’un ruisseau entre les rochers répond aux plis d’une veste chiffonnée. Ailleurs encore, on perçoit d’abord, intrigué, les formes géométriques contrastées que dévoile, de loin, une série de petits formats, et l’on s’approche, impatient de découvrir quels objets, quelles matières tracent ces formes. Certaines photos de végétaux, d’animaux voire d’éléments « urbains » (poteau, fil de fer...) créent le suspense. On sourit en réalisant que ce fantastique « alien » posé sur fond d’aurore boréale est une... libellule ; que cette forme sèche est, non pas un crâne d’animal, mais un champignon. Est-ce le branchage ou le tissu qui trace ce voile de dentelle floue ?
Dans le travail d’Alain Janssens, le doute est permis et même requis. Mais, même habitées par le mystère, ses photos gardent une grande lisibilité. Tout en étant empreintes de sensualité et de douceur - telle cette main abandonnée, suspendue à l’angle du poignet -, elles ne sont pas exemptes de tensions, d’une sensation de moment « entre deux », de mouvement en suspens.
« J’aime la lenteur, je n’aime pas consommer les choses rapidement », nous confie Alain Janssens. Ses photos invitent, elles aussi, à prendre le temps.
Sophie Lebrun