Alain Janssens, photographe et professeur d’esthétique, de studio et de portrait, a développé au fil des années, avec rigueur et discrétion, un travail personnel, singulier et attachant.
Ses sujets semblent élémentaires : un corps et des arbres, puis un citron sur une table, une veste posée sur les épaules d’une chaise vide, une mare aux songes, un torse dénudé, le mystère d’une ville la nuit, traités avec douceur et baignés de lumière. Il cadre ces menus fragments dans de petits ou moyens tirages mats, le plus souvent carrés, d’une beauté qui fait parfois songer aux mondes infimes et infinis de Josef Sudek.
Intérêt des « choses sans nom », comme les appelle le photographe, glanées au gré de ses « humeurs » ou de la magie des circonstances... « Regarder sans comprendre/Accéder au lieu par l’image/Non par son langage/Mais par son secret », dit Alain Janssens ; « une bonne image est une image qui échappe au texte, ou plus exactement (...) qui est en avance sur le texte ».
Il tente de saisir l’impossible au coeur des choses dans l’instant même de la captation. La puissance de suggestion de ses photographies, l’animisme de ses compositions (« photographier du vivant dans l’inerte », dit-il) se cherche dans le frémissement de la lumière. Une lumière feutrée aux angles variables, riche de minuscules éblouissements... Le plein complète le vide, les formes se répondent dans une atmosphère entre chien et loup. C’est aussi un regard tactile, qui caresse les choses sans les aplatir. L’entreprise est démesurée, c’est la quête d’un absolu à portée de main, et modeste à la fois, avec pour tout souci la justesse du regard, l’écoute des résonances profondes. Loin d’être gratuit, le flou est ici précieux et pour ainsi dire précis. Ses photos vous séduisent, fascinent, enivrent... mais Alain Janssens ne se contente pas de la joliesse des choses. L’image se doit aussi d’être pensive : non seulement pensée, conçue, mais surtout ouvrant à la méditation. Le photographe puise dans le concret pour en faire surgir l’abstrait, l’état de rêve n’est jamais très éloigné du réel (ils se posent par exemple en vis-à-vis, mais dans un effet de miroir qui semble réversible) et chaque photographie, avant toute chose peut-être, se doit d’être une image mentale . Jamais Alain Janssens n’épuise son sujet, comme le font certains prédateurs, adeptes d’une disctanciation triviale, ou d’une appropriation dévorante. Il laisse vivre son sujet, et cette liberté lui permet d’incessantes expérimentations (en couleur par exemple : elles aussi en suspension entre concret et abstrait, entre microcosme et macrocosme). Cette même liberté permet aussi une réflexion sur l’accrochage, sur les effets - presque au sens cinématographique - de montage qui garantissent le renouvellement de son univers. Une image en sait toujours plus que son auteur. Et deux images en disent toujours plus que leur simple addition. Poète, sûrement. Mais plus que cela : tout en refusant le moindre effet spectaculaire, et sans trahir le motif, Alain Janssens est un photographe de la transfiguration.
Eda, 2011.12