« Que c’est dans le quotidien qu’on fait le plein ». Dans celui-ci semble sommeiller la promesse d’une jouissance, le moment ou l’unité ; entre le sujet, le photographe et tant d’autres choses ; est furtive mais tellement réelle. Un moment qui échappe, un temps que l’artiste offre à notre imaginaire, un instant qui l’émerveille. Lenteur et contemplation semblent être convoquées.
Rentrons dans une photo, dans l’osmose d’un instantané, dans la magie du lieu et de celui qui l’habite, ou de celui qu’il habite....mystère, poésie et portes ouvertes. Ce morceau de forêt par exemple, Alain Janssens semble l’avoir décelé, perçu, mis en lumière comme au terme d’une quête fortuite ou inconsciente, au gré de flâneries, ou comme au bout d’une transe même. Le moment quasi mystique se révèle enfin.
Le quotidien.
L’artiste explore ses travées, sans thématique précise, le noir et blanc et la lenteur de l’argentique comme outil. La couleur aussi, parfois mais pas trop, idéalement une ou deux à la fois, dans un rapport de contraste noir/blanc. Alain Janssens défend volontiers l’idée qu’une bonne photo ne doit pas être trop construite, que d’une certaine spontanéité découle le geste poétique. Des arbres, des plantes, des fruits, des corps, des vues par exemple, quelques portraits aussi, on sent que l’idée l’intéresse, qu’il la murit encore. Les lieux aussi ont toute leur importance, ceux dans lesquels il se sent existé, habité.
La part et le tout.
« Que le pli du paysage commence à la lisière de la peau et du poil ». Au début des années quatre-vingt, Alain Janssens a travaillé avec des personnes handicapées mentales au Créahm à Liège. Le photographe y nourrit son regard singulier, un œil taillé pour mettre en lumière le détail, ou ce qui n’en est plus un justement...ce fragment qui existe par lui-même et qui participe à un tout, capturé pleinement dans le moment vécu.
Hors du cadre
« C’est partir de l’idée qu’une image ne remplit pleinement son existence que quand elle oppose une perspective dans le regard de celui qui est devant elle ». Hors du cadre, c’est là que les photos d’Alain Janssens semblent vouloir nous emmener, à la recherche de ce qui n’est pas montré, pas visible, dans un monde imaginaire tout aussi important que le monde réel, dans l’ombre aussi. Les « procédés » sont variés, allant de la photographie d’un fragment de corps qui reste indéfini à une vue dont les plans semblent se révéler les uns les autres étrangement, au gré des sens de lecture en passant par des paysages flous, des filtres dans tous les sens, brouillant notre vue, renforçant le côté ouvert, suggestif de l’œuvre.
Une vue étrange : la mer cernée d’arbres. Les plans sont tels des aplats, se superposant curieusement, le spectateur déchiffre, s’embourbe, perd la vue, sort du cadre.
Sensualité
Texture, flou, lumière, Les photos d’Alain Janssens sont indéniablement empreintes de sensualité. La technique de l’argentique tout d’abord et du papier baryté, servant autant le mat que le brillant. Les lumières ensuite, parfois chaudes et surtout vaporeuses. Les sujets varient, mais le rendu, très sensuel, incite au touché...que ce soit un citron en pierre, des chaussures ou encore un fragment de mur. Si la spontanéité et la sensualité caractérise l’œuvre, l’artiste aime discuter de son travaille, s’amuser des convergences et partage l’idée que « la photographie construit la pensée et pas l’inverse ».
Inspiration
Quand on parle de ce qui l’inspire, les idées fusent, de Philippe Jaccottet à Lee Friedlander en passant par Vladimir Jankélévitch ou Andrei Tarkovski, la conversation fait des tours et des détours des plus réjouissant. Son moteur c’est avant tout cet ancrage dans le quotidien, ce bonheur d’un émerveillement perpétuel, qu’il soit le fruit de la feuille d’une plante, du grain d’une peau ou d’une découverte littéraire. Parce que l’œuvre d’Alain Janssens participe à un grand tout fondamentalement indéfini tenant tous nos sens en éveil, révélant notre rapport aux autres et aux choses, notre regard profondément humain, elle semble bien loin d’être anecdotique.
A coté
Coté professionnel Alain Janssens réalise principalement des photographies d’architecture. De 2001 à 2009, Il a couvert le chantier de la construction de la gare des Guillemins à Liège. Ce travail de commande, reflet des évolutions diverses et de la vie sur le chantier est un témoignage historique mais il est également empreint de la patte du photographe, capturant l’énergie et la vie avec un regard présent. Comme c’est le cas dans son œuvre plus intime, très architecturale aussi, la lumière travaille les volumes, les crée et les brouille, les laisse interagir.
Notons qu’Alain Janssens a également photographié le chantier du cinéma de la Sauvenière à Liège, lieu non moins emblématique de la ville.
L’artiste est aussi un poète. Si ses photographies semblent dire l’ineffable, les mots sont importants pour lui et ils évoluent en parallèle aux images.
Quand il ne prend pas des clichés, il donne notamment des cours de photographie à l’Ecole Supérieur des Arts Saint-Luc de Liège. On l’imagine bien dans son rôle, il nous explique au passage que ça le nourrit.
Exposition
Après avoir exposé dans des lieux importants dédiés à la photographie, comme Contretype par exemple, Alain Janssens présentera son travail à la Galerie Flux : des œuvres montrées à Bruxelles mais pas à Liège, des inédits, de la couleur, du noir et blanc, de l’argentique et du numérique. Pour lui le montage de l’exposition est aussi important que les photos, qu’il aime faire résonner entre elles en associant les contraires par exemple, créant dans le regard du spectateur une troisième image, sollicitant constamment notre imaginaire. Le rythme ou les blancs laissés participe également à l’unité de l’œuvre.
Journal Flux news oct/nov/déc 2016