Alain Janssens (né en 1956) a longtemps été professeur
d’esthétique et de studio à l’ESA Saint-Luc Liège.
Photographe d’architecture, il a développé au fil des
années, avec rigueur et sans tapage, un travail très
personnel, singulier et cohérent. Ses sujets n’ont
rien de bien spectaculaire : arbres, plantes ou fruits ;
l’environnement quotidien ou la promenade ; quelques
vues de paysage, des portraits et des nus. Les lieux
ont leur importance, mais jamais rien dans le sujet ne
dicte l’image : l’enjeu chez Alain Janssens est ailleurs,
à l’écoute de ce qui vibre dans l’inerte, dans la transfiguration
du banal par la lumière, avec pour outil la
lenteur de l’argentique et l’artisanat du noir et blanc.
Pratique intemporelle plutôt qu’anachronique, ni trop
construite, ni trop cérébrale, une photo se doit chez
lui d’allier le sens à la sensation, d’intégrer la spontanéité
de l’instant, de l’accident.
Son langage est nourri par la poésie, la peinture, la philosophie,
le cinéma — de Philippe Jaccottet à Yves
Bonnefoy, de Vladimir Jankélévitch à Michel Onfray,
d’Antonioni à Tarkovski — sans oublier, rayon photo,
Friedlander, Sudek ou encore la photographie japonaise,
notamment Jun Shiraoka ou Fukase. On
repérera d’ailleurs chez lui une forme de recherche,
consciente ou inconsciente, de ce point de jonction
tant prisé dans la pensée orientale, où les valeurs
s’annulent ou s’inversent : le petit et le grand, le noir
et le blanc, le beau et le trivial, le vide et le plein (son
second livre, après Temps brassé, ne s’intitulait-il pas
Nulle part et partout ?). Et ses petites notes de travail
ont souvent la fulgurance du haïku ou de l’aphorisme :
« Comment concilier l’orgueil et l’effacement
— L’orgueil nécessaire à la survie dans un monde
brutal — L’effacement nécessaire à la survie dans un
monde orgueilleux »…
Peu narratives en soi, ses photos prennent sens par série,
en séquence ou comme un rébus visuel éclaté,
où chaque fragment renvoie au tout. Attentifs aux
formats, aux tons et aux sons, aux rythmes comme
à ceux d’une musique, ses tirages s’inscrivent, dans
une grammaire renouvelée et une combinatoire
constante, comme sur une portée. Les intervalles,
silences et respirations y comptent autant que le
visible, et les choses insignifiantes tissent entre elles
de subtils réseaux d’oppositions et de correspondances…
De la poire à la pelure, du pelage au paysage,
de la peau à la photo, il y a plus qu’un jeu sur
les mots et une trop évidente allitération : le constat
d’invisibles mais profondes racines, qui relient entre
elles et unit dans une même fraîcheur des images de
plus de trente ans, celles à peine faites d’hier — et
celles enfin à faire demain.
Emmanuel d’Autreppe