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« Du côté de chez Dhôtel » réunit des textes de Gilles Grandpierre et Christophe Mahy et des photos de Jean-Marie Lecomte et Alain Janssens. L’album paraît aux éditions Noires Terres.
« Du côté de chez Dhôtel » est un bel ouvrage consacré à l’écrivain français André Dhôtel, né à Attigny en 1900. La commune est située entre Rethel et Vouziers, dans le département des Ardennes. Dhôtel n’a rien d’un auteur régionaliste, malgré une attention particulière à la nature et au paysage de sa région natale. "Le trottoir d’Attigny, où je jouais devant la maison, c’était simplement le trottoir du monde", écrivait-il dans "Terres de mémoire". Il pointe "Le pays où l’on n’arrive jamais". Ce roman le plus connu de l’auteur avait obtenu le Prix Femina, en 1955.
André Dhôtel a "un goût immodéré pour la description de la nature", écrit Gilles Grandpierre, et le lecteur est invité à "voir comme on apprend à lire entre les lignes", note Christophe Mahy. Il faut être attentif ! Maurice Nadeau nommait le territoire de l’écrivain, « le Dhôthelland ». Dans ses romans, les personnages n’ont pas une psychologie particulière. Ils sont extraordinairement ordinaires. Les histoires ne sont pas essentielles, mais les descriptions de la nature créent un univers enchanté qui appartient à la réalité. André Dhôtel nous égare dans un paysage qui se répand sans bornes. Les prés et les champs, les clairières et les bois, les creux et les crêtes dessinent une géographie ouverte sur l’infini, sans circonscrire le territoire, et le regard se pose aussi sur le fossé ou la friche, l’ortie ou la ronce.
Les photos en noir et blanc d’Alain Janssens traduisent magnifiquement l’ouverture du paysage. Il photographie un paysage inondé à Boult-aux-Bois. La nappe d’eau déborde. Est-ce une rivière ou un étang ? Entre la terre et le ciel, la délimitation n’est pas franche. L’œil est témoin d’une dilution des formes.
Autre photo. Des arbres dans un arrière-plan flou. Un léger scintillement dans leur frondaison. A l’avant-plan, un éparpillement de fleurs des champs suscite une même sensation de vibration. Le proche et le lointain se confondent.
Ces images illustrent bien « ces réalités qu’on n’attrape jamais et qui existent », dixit Dhôtel. Les photos d’Alain Janssens égarent le regard. L’arpenteur est ici, ailleurs ou nulle part. L’attention au paysage se traduit par une tension dans le cadrage. Comment construire le cadre de la photo quand la vue s’étend à perte de vue et que le paysage est un espace de lumière qui n’est pas circonscrit ? En répartissant les masses.
Les formes et les variations chromatiques sont distribuées dans l’image illustrant la « Rhétorique fabuleuse » d’André Dhôtel qui « se borne à attraper quelques descriptions du monde et à les disposer au petit bonheur comme on le ferait pour les cartes d’un jeu jusqu’à ce que se dessinent quelques imageries inattendues ». Ainsi, le portrait d’une femme vue de dos dont la chevelure est une touffe végétale qui prend des allures de buisson et se fond dans la nature. Tout comme la tache sombre d’un cheval, légèrement surexposée, appartient bien au territoire de ce paysage en noir et blanc, constitué de formes sombres et indistinctes.
André Dhôtel invite aussi par ses descriptions à regarder ce que le promeneur distrait ne voit pas et à lorgner sur le bas-côté de la route. Alain Janssens photographie une butte avec quelques branches et attire l’attention vers un élément anodin du paysage, le rendant signifiant.
Alain Janssens est au micro de Pascal Goffaux