Le chantier de la nouvelle gare des Guillemins a été, durant 8 ans, la matière première d’un photographe liégeois, Alain Janssens. De 2001 à 2009, des fondations à l’achèvement final, du plein soleil d’été au ciel grisé de l’hiver, le photographe s’est immergé dans ce qui constitue un formidable paysage urbain. Il en a tiré plusieurs milliers d’images, qui donnent une stratigraphie du lieu et de ses multiples évolutions.
De long en large, et de bas en haut, été comme hiver, sous la pluie et, de préférence, sous la lumière du soleil, Alain Janssens a sillonné le chantier de la gare de Santiago Calatrava. Quelque 180 visites sur place, plus ou moins longues, plus ou moins fréquentes aussi, en fonction de l’avancement des travaux. En 8 années, on devinait bien qu’il en était sorti une volumineuse masse d’images. Mais il y a au total pas loin de huit mille photographies en couleur : à la (dé)mesure de ce chantier peu banal.
« C’est une situation qui n’arrivera sans doute qu’une fois dans ma vie », tient-il à préciser avec humour. Mais ce photographe, enseignant à l’École supérieure des Arts Saint-Luc de Liège, n’a éprouvé que rarement la lassitude. « C’était un chantier toujours en mouvement, d’un jour à l’autre les choses se modifiaient. Et ce qui est fabuleux, c’est d’avoir eu cette unité de lieu, toujours le même paysage sous les yeux, en mutation permanente, par l’action des hommes. »
Car si ces milliers d’images, commandées par Euro Liège -TGV, témoignent de la construction d’un édifice imposant, gigantesque, elles sont aussi et surtout traversées par les hommes : ceux qui construisent, et ceux qui sont les usagers de la gare, l’ancienne progressivement démantelée, et la nouvelle sortant de terre. Alain Janssens a aimé photographier cette chorégraphie de corps en marche. La gare de Calatrava est sans doute un monument d’architecture et une solide réussite technique, mais sous l’oeil du photographe, elle reste profondément humaine. « On a beau savoir les choses et avoir visité Vézelay, les vivre dans l’émerveillement du quotidien dans sa propre ville est une vraie aubaine », avoue le photographe.
Ceux qui s’intéressent à la photographie et à l’architecture connaissent déjà le nom d’Alain Janssens. Outre un travail personnel volontiers intimiste, essentiellement en noir et blanc, que l’on peut découvrir dans un ouvrage récent, « Temps brassé », et qui a été montré récemment à la galerie Triangle Bleu de Stavelot, Alain Janssens apprécie la photographie d’architecture. Il n’en est pas à son coup d’essai, ayant collaboré notamment avec les architectes Pierre Hebbelinck et Alain Richard. Il est également l’auteur des photographies commandées par la Cellule Architecture de la Communauté française Wallonie-Bruxelles, pour le volume consacré au Cinéma Sauvenière de Liège, dans la collection « Visions - Architectures publiques ».
Le travail documentaire fourni sur le chantier de la gare n’a pas dérogé à certaines règles de composition : lumière, masse, volume, matières, échelles, personnages. Le photographe n’a pas manqué, non plus, de garder une trace de certaines parties du chantier, au caractère insolite, ou presque sculptural, et qui aujourd’hui ont disparu sous une quantité non négligeable de béton. Il en résulte que ce travail donne lieu, aussi, à une archéologie immédiate du présent, et que l’on pourra le regarder comme tel dans le futur : qui n’a jamais rêvé de voir comment s’était édifiée la cathédrale de Chartres ?
Le photographe a évidemment en projet un livre, auquel il faudra donner également une architecture, éditoriale celle-ci. Mais en attendant, on peut voir une sélection de 180 images racontant ce chantier en marche, dans le parking +1 de la gare. Et sur le site Culture, il nous propose une autre sélection : dix images, dix situations, qui donnent une idée de ce qu’il appelle « une longue promenade », qu’il a vue « parsemée de moments de sérénité, de calme, et par à coup, de sauvages emballements ».
Alain Delaunois
Septembre 2009