Le feuillagisme m’a donné une grande leçon. Il y a quinze ans environ nous en avons vu se multiplier les manifestations. Il foisonnait, c’est le cas de le dire. Et il signifiait, au travers de ses confusions intrinsèques, une lucide prise de conscience de la photographie par elle-même. Le fait de pouvoir saisir les moindres détails de la forme et le plus fin grain de la matière n’absorbait pas la photographie dans un réalisme mesquin et pointilleux mais lui permettait au contraire d’évoquer la profondeur et la calme solidité de la matière, celle d’où s’élèvent tous nos rêves.
J’ai cru à un moment important et, en somme, à une mode réussie. Puis le feuillagisme s’est prolongé. Il en venait toujours. J’ai cru alors à une survie abusive, à une prolongation qu’il fallait déconseiller. Mais le feuillagisme continuait d’affluer, et souvent admirable. Alors enfin j’ai compris que je me cramponnais vainement à un préjugé révolu de la critique, celui du nouveau à tout prix. Le feuillagisme est un grand mode de la forme et le fait que tant de gens continuent d’en faire ne nuit en rien à la valeur des oeuvres en elles-mêmes.
Reste que chacun en fait à sa façon. Et Alain Janssens nous offre ici une image feuillagiste paradoxale. Sorte de feuillagisme géométrique qui parvient à exprimer à la fois la sauvagerie mouillée des sous-bois et la rigueur minimale d’une forme géométrique, mais si fort emblématique, la croix. Longtemps les hommes ont cru que Dieu avait parsemé la nature de symboles cachés. Mais avaient-ils tort ?
Cf. J.C. Lemagny : catalogue de l’exposition
"LA MATIERE L’OMBRE LA FICTION" Bibliothèque nationale de France. Paris ’94