Alain Janssens

Liège-Guillemins - La gare blanche
Photographies Alain Janssens
Préface de Caroline Lamarche
Formats 30 x 23,5 cm
178 pages quadri. Reliure cartonné
Editions Mardaga - Eurogare édition

La gare traversée
Huit années à traverser le chantier de la gare des Guillemins de gauche à droite et de bas en haut, chargé d’un regard qui se voulait, dans la note d’intention d’origine, touché à la fois par l’aspect documentaire (la mémoire d’un chantier et des hommes qui le font exister), par le plaisir esthétique pur (jeu de proportions, émergence de l’ombre et de la lumière, lignes et courbes), par la notion de paysage (rapport de l’objet « gare » à l’homme, à la ville, à l’espace), à son statut d’objet d’art (sculptures éphémères, installations provisoires...) et par l’écho des grandes images mythiques auxquelles nous continuons de vibrer (la voûte céleste, la nature, la transformation et la rencontre des matières, les grands périples, l’espace et le temps).

180 visites et quelques photographies plus tard, il s’agit de découvrir l’ensemble de la production et de tenter de donner sens à tout cela. Cette proposition s’oriente vers une lecture en strates qui conjugue la relation d’une expérience intuitive au quotidien — il importe d’oublier son projet pour être disponible à l’objet qui est devant soi — et la lecture plus attentive de ce qui a été effectivement capté.

Il est toujours saisissant, pour un profane, de décrypter de l’ordre dans le chaos d’un chantier, d’intercepter de l’architecture naissante dans la complexité dangereuse et difficilement pénétrable des pics, pieux, pierres, et autres parois abruptes et abstraites de béton, d’imaginer des volumes dans les parquets paraboliques, ou dans les rampes de lancement monumentales des moules des tripodes, de comprendre après coup que le grand parapente métallique sera en définitive gommé de l’espace final, et petit à petit de profiter de l’écriture des structures et des matières.

Il est tout aussi saisissant, un beau jour ensoleillé, de prendre conscience de la dimension de ce chantier et de se retrouver confronté à pareil émoi quand, tout petit, dans la chambre mansardée, le train électrique sur la table, habillée de montagnes et de petites maisons, est survenu le premier départ du premier grand voyage.

La gare agrée et suscite le voyage, réel et/ou imaginaire.

Dans son vacarme diurne. Dans son silence nocturne.

Son chantier, au travers d’un regard — photographique —, suscite les mêmes décalages, les mêmes ouvertures. Un voyage nourrit par la couleur et la lumière de la peinture, la masse de la sculpture, l’interrogation de l’installation, la chorégraphie des corps suggérée par un lieu, mais aussi par la géographie ou l’anthropologie (tente, casque et masque)...

Tenter les échos, transcrire ce chantier dans un champ suggestif.

Une des grandes leçons de cette expérience est la fréquentation assidue et attentive d’un lieu, en perpétuelle et souvent inattendue transformation, à travers les saisons et ses changements de climat-lumière : le décalage du soleil entre le solstice d’été et le solstice d’hiver (90° d’azimut et 48° de hauteur) n’a jamais été aussi troublant. On a beau savoir les choses, avoir visité l’église de Vézelay, les vivre dans l’émerveillement du quotidien, dans sa propre ville, est une vraie aubaine.

La couleur de la lumière sur des voiles blancs, le trop bleu de la pluie et le beau jaune chaleureux du soleil de septembre, la masse moelleuse du béton frais, la boue, la poussière de la terre, le puissant ancrage du parking dans la roche de la colline, les étoiles permanentes des disqueuses, les éclaboussures et les coulées dorées du métal découpé, les bleus violacés du bec du chalumeau, l’éclat du verre, complètent l’inscription de cet évènement dans une composante plus transversale.

Mais, traverser un chantier pendant huit années, c’est aussi la conscience d’exprimer la puissance de l’oeuvre collective, certes conçue par un homme, cependant concrétisée par le travail et les compétences de centaines d’intervenants, nichée dans les moindres interstices, des fondations aux finitions, tout a été dessiné et fignolé à la main, chaque barre à béton pliée, chaque plan poncé, chaque boulon serré. Elle a été dallée, peinte, nettoyée... en français, en espagnol, en flamand, en anglais, en roumain, en italien...

Enfin proposer au visiteur un itinéraire chronologique où l’information est parsemée de moments de sérénité, de calme et par à coup de sauvages emballements, où tout est rythme, où la contemplation n’a plus sa place en tant que durée, mais seulement en tant qu’éblouissement.

Alain Janssens, 16 09 09 (à l’occasion de l’exposition dans la gare des Guillemins)

http://www.doublepage.be/graphisme_...