« Les choses à venir viennent dans les intervalles ». Cette affirmation d’Alain Janssens, l’épeire qui tisse sa toile et puis s’immobilise, petit joyau tranquille attendant son heure, l’illustre à merveille. Le vide, les interstices, l’air qui circule entre les fils nous attirent. Captifs d’un piège qui n’est fragile qu’en apparence, nous voilà contraints à la patience dans une époque qui en manque singulièrement. La galerie Détour, la bien-nommée, accueille cette architecture méditée au fil de décennies de travail. Si le motif en est familier - le proche, l’intime -, ses variations surprennent par leur pouvoir d’éveil. Un pouvoir qui n’exclut ni l’ombre ni la fugacité de la lumière. Notre propre fugacité en somme, mais travaillée, sculptée, à l’image de ces feuillages à ce point ciselés qu’ils transfigurent une banale chaise en plastique en métaphore de l’abandon ou, à l’inverse, de la confiance : quelqu’un viendra. Ce corps de l’attente, un visage de femme, un fragment de forêt, l’angle d’un toit, la fatigue d’un cheval, l’éclat d’une porcelaine, les aspérités d’un outil nous le confient aussi bien, avec leur poids de mystère. Mystère qui n’advient qu’au prix d’une subtile mise à distance. Dans un monde qui ne cesse de répandre ses émois contradictoires, ce retrait ouvre un espace où l’imaginaire s’anime tel un rideau de voile. Le regard de cette femme, y lira-t-on la crainte ou la tendresse, la tension ou la paix, la distraction ou le trouble ? Et ces mains : sont-elles jeunes ou déjà marquées par la mort ? Quel est en vérité l’âge de ces photographies, aussi intemporelles que les peintures des vieux maîtres ? On croit souvent que l’art contemporain ne peut exister sans mise en scène du pire, mais les époques anciennes étaient aussi violentes et malades que la nôtre. Que le sujet abordé soit paisible ou cruel, les œuvres qui durent sont celles qui prennent le risque de la sobriété, des intervalles de silence. Voilà pourquoi le poème, ce concentré d’images, est l’art de l’avenir. Il y a là une lucidité et une vocation à faire lien qui restaure en nous une ressource terriblement menacée : l’attention. Que nous soyons animal ou brindille, vivant ou mort, caillou ou vague, tout commence par l’attention, debout à notre chevet. C’est elle qui nous console. Elle qui lance le palabre, ce mot qui existe plus souvent au féminin, le genre ici préféré induisant une musique qui légèrement dissone et par là nous éveille. Ce masculin- là n’est autre que le contrepoint du féminin des choses, c’est-à-dire de tout ce qui échappe au discours et dont cependant nous parlons sans relâche, en boucles et en redites, autour du feu ardent de l’art.