Alain Janssens

Judith Kazmierczak « De la peau des choses » Flux News - hiver 2009.

Face au créé d’Alain Janssens, Par où commencer... Dire !

Je choisis de dire en je.

Je suis là.

Assise dans l’atelier bureau, face à la grande photographie,
je contemple. Un drap est posé sur le dos d’une chaise proche d’une table. L’image baigne dans une lumière bleutée imprégnant la texture de chaque par­celle d’objet. Dans un jeu de noir et bleu, léger et profond, les matières entrent en vibration. Métissage envoû­tant où je m’abîme... L’image touche. L’image me touche. Mes yeux louchent-ils l’image ? L’image touche-t-elle mes yeux ? Ou loin derrière eux ? Loin dans mes terres intérieures, sensibles à l’essence de vie captée par l’artiste ?

Très loin... Là-bas, dans l’humus sou­terrain
où vibrionnent les émotions sources ?

Si je me permets ce détour par moi, sujet parmi tant d’autres regardant les oeuvres photographiques d’Alain Jans­sens, c’est pour mieux cerner sa quête visuelle existentielle.

Lors de l’entretien, il me dit : « Ce qui me semble fondamental dans le monde actuel, c’est le manque d’unité, de résonance avec le cosmos, avec le Tout alors que nous sommes éléments du Tout. Depuis la Renais­sance, tout est au service de l’individu.
Je m’inscris dans le vingt et unième siècle de cette façon-là, dans cette urgence : offrir aux gens d’aller se connecter à cette partie-là d’eux. C’est là que je m’adresse et j’aime le terme « m’adresser à ». M’adresser à cet endroit de nous-même où il est pos­sible d’être touché par la lumière qui se dépose sur la peau des choses.
Ce qui est touché, c’est ce qui est ancré en nous, qui n’est pas nommé, qui reste en dessous du seuil de conscience... »

Une pensée archaïque primitive C’est croire à un territoire infini, non encore morcelé. C’est un big-bang dans la goutte qui explose en tombant sur le sol

07-06-08

Depuis 1990, Alain Janssens compile ses réflexions de travail dans des car­nets. Cela est né des lieux d’exposition lui réclamant des textes d’accompa­gnement : il choisit alors de les écrire lui-même. Au début, cela représentait une astreinte. Au fil du temps, le plai­sir du mot est devenu aussi intense que rechercher la qualité d’un gris dans une photo. En 2005, l’ouvrage « temps brassé » recueille un chapelet d’images et de citations personnelles ourlant la fin du livre.

Pour en revenir à l’archaïque et au big-bang originel, Kenneth White, auteur de « La figure du dehors » évoque un monde blanc qui résonne pour Alain Janssens. Ce monde blanc, ce rayonne­ment blanc, rayonnement fossile per­mettant de déceler les traces du big-bang, lui parle. Surtout parce qu’il est question de lumière mais aussi d’un monde non encore encombré de la durée (un présent nourri du passé et tendu vers un futur). Alain Janssens aime se nourrir de péré­grinations dans le monde scientifique.

Il évoque aussi « Le chaos et l’harmo­nie » du physicien français Trinh Xuan Thuan. L’auteur démontre combien le hasard supplée la nécessité dans la fabrication du réel, ou comment les expériences reproductibles en labora­toires n’expliquent rien sans la compli­cité du chaos. Alain Janssens interprète la substance du livre en disant : « Ce n’est pas nous qui écrivons la partition du monde... C’est nous qui la déchiffrons. Quoique... Sommes-nous à même de la lire cette partition ? Plus on tente de la lire, plus elle se dérobe... Même dans le milieu des sciences, la certitude ne peut être figée car la recherche est vivante et mou­vante...

Le rapport au monde scientifique devient poésie.

Mais que me veut
Mais que me vaut
Mais d’où me vient

Ce récurrent soupir

04-04-08

Quand je fais des images, je ne veux pas savoir ce que je fais. Je laisse la partition se déployer en moi. J’ai mon écriture, ma lumière, mon histoire, là où je vis...

Une bonne photo est une photo qui me surprend à la découverte de la planche-contact, C’est l’expérience visible de la partition qui se donne à voir. (Quand il ne s’agit pas d’une commande où là, cela fonctionne autrement.) Tout artiste est quelqu’un qui doit dévoiler la part cachée... »

Une bonne image
Une éclaboussure dans l’abîme de la trivialité souveraine

30-04-07

Quand Alain Janssens photographie, il n’a pas d’intention particulière si ce n’est de partir de ce qui est. Il regarde son quotidien et il voit des lumières qui s’offrent à lui. Cette clairvoyance émerge de son état d’extrême disponi­bilité intérieure permettant aux choses de venir à lui. Une intention naît alors des objets du monde banal, du fami­lier. Il y a passage de l’ombre à la grâce.

Pour parvenir au dénuement éloquent, Alain Janssens s’éloigne des bavar­dages superficiels. Point besoin pour lui de tout capter. Il choisit des frag­ments du réel en veillant à tendre tous les champs participants vers la même expression. Paradoxalement, le mor­ceau pris dans le cadre provoque un sentiment d’unité. De force aussi. « Aux plans généraux, aux grands pay­sages, je préfère les parcelles d’éter­nité... »

Le présent se consomme comme un présent

20-06-08

Présent et infini passionnent l’artiste. Il l’évoque admirablement quand il décrit ce moment suspendu dans lequel il s’inscrit lors du déclic : fraction de seconde où s’engouffre un espace-temps immuable. L’instant présent. Il décrit aussi ce moment suspendu comme un moment synthèse, fruit d’un travail d’être éponge, d’imprégnation de plus en plus abondante et de super­positions de strates aboutissant à une synthèse s’élaborant de manière auto­matique. Ce regard flèche qui touche la cible, se commet grâce et malgré lui, du lieu de sa longue expérience où l’imprévu peut jouer naturellement avec son et notre inconscient collectif.

Le son mat de ses pieds nus sur le sol de la salle de bain

16-11-07

Arrive l’invitation au voyage. Au Triangle Bleu à Stavelot du 22 février au 19 avril 2009, Alain Janssens présente ses dernières photographies.

L’exposition s’articule autour de trois sections correspondant à trois espaces distincts.

Le premier espace se consacre à des iniages noir et blanc. Le second offre plusieurs grands for­mats où apparaît la couleur. Le troisième espace, à l’étage, pro­gramme un mixte de fragments de pay­sages déposés sur un infini et d’autres travaux sur la thématique du blanc.
« Peau-pelage-paysage »

Au rendez-vous, la lumière ! Omniprésente, elle vous demande de vous rendre présent à vous...

Judith Kazmierczak. Flux news n°48.